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De Facebook aux ronds-points, les Gilets jaunes du territoire virtuel aux territoires réels : retour sur l’ancrage territorial d’un mouvement né du numérique

Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée générale de l’association Villes Internet, a contribué au numéro du mois de septembre des Annales des mines, dont le thème était Enjeux numériques, Internet, frontière et territoires. Un sujet au cœur des enjeux portés par l’association et pensés par sa fondatrice depuis plus de vingt ans. Elle reprend dans cet entretien des extraits de son texte intitulé De Facebook aux ronds-points, les Gilets jaunes du territoire virtuel aux territoires réels : retour sur l’ancrage territorial d’un mouvement né du numérique.

Dans un monde numérisé, dans lequel tout est pensé et conçu au service de l’économie digitalisée, qu’en est-il des effets de la révolution numérique sur la vie démocratique ?

« L’histoire de l’impact du numérique sur la démocratie s’écrit chaque jour simultanément à différentes échelles. Le régulateur français cherche à inscrire des règles solides pour maintenir les valeurs républicaines face à la pression commerciale des « industriels de la donnée » ». Plus largement, les révolutions arabes ont été rendues possibles par un outil de mobilisation rapide et un espace d’organisation : Facebook. Des autocraties et des régimes autoritaires ont été ainsi déboulonnés grâce à cette dynamique. L’impact de ces outils sur l’expression populaire ne peut dès lors être sous-estimé, ni nous faire occulter un certain paradoxe. « Le capitalisme a produit des sociétés marquées par la montée de l’individualisme et la défiance des institutions politiques traditionnelles. Le numérique a cette particularité : il fragmente autant qu’il agrège. Il fragmente car ce sont des récits personnels qui sont rapportés sur la toile, des souffrances sociales et économiques déversés sur les réseaux sociaux…De cette fragmentation nait paradoxalement une agrégation d’expressions multiples constituant une toile de fond de revendications. Aussi, au-delà d’être un outil, le numérique permet aux invisibles de faire entendre leurs voix. »

À ce propos, quelle place le numérique occupe-t-il dans l’éruption des Gilets Jaunes dont le mouvement s’est consolidé dans la durée ?

Au début du mouvement des Gilets Jaunes, Internet va se révéler « comme ce qu’il est depuis sa conception, un redoutable réseau de mobilisation et d’expression populaire. Une coordination décentralisée du mouvement qui émerge va se mettre en place sans chef de fil national, et pire, ou mieux, sans interventions des partis politiques ou des syndicats. » L’outil numérique ne servira pas seulement d’allumette pour déclencher la mèche, il servira à entretenir l’incendie. « Une population jusqu’alors silencieuse dans les instances participatives classiques (conseils de quartier, conseils de développement…) s’empare du multimédia numérique « à portée de portable » pour faire connaître ses difficultés. Un vécu caché comme une honte individuelle ou familiale s’exprime par les médias numériques dans une sorte de « coming out » des urgences sociales des zones périurbaines ou rurales ».

Comme au temps de la Révolution française, des cahiers de doléances ont vu le jour dans l’ensemble des mairies couplés à l’ouverture d’un site dédié aux contributions par voie numérique. Le Grand débat national est né. Quel bilan tirez-vous de cette innovation numérique au service du politique ?

Le bilan me semble très contrasté. Nous avons d’un côté une belle réussite, celle de la participation des citoyennes et citoyens à ce moment démocratique. « Les analystes ont estimé à plus de cinq millions les contributions recueillies, tous supports confondus, avec plus de 500 motions produites par des associations d’envergure nationale, et finalement, des milliers de réunions locales pour discuter de la rédaction des propositions collectives. Les chiffres toujours visibles sur le site officiel indiquent 10 134 réunions locales pour 16 337 cahiers citoyens recueillis par les communes et 27 374 courriers et courriels reçus directement à l’Élysée et Matignon. S’ajoutent les 1 932 884 contributions en ligne produites par plus de 381 346 contributeurs sur le site officiel. »

Mais nous avons d’un autre côté, un immense gâchis de toute cette matière, dont il n’est quasiment rien sorti. « Aucune promotion nationale de ce projet de société ne répondra à tous ces citoyens, animés par ce qu’ils voyaient comme une chance historique de participation. Les synthèses des réponses aux quatre questions posées par le gouvernement sont lisibles sur le site granddebat.fr, où quelques fichiers de données ont été ouverts. Les contributeurs ne se sont pourtant pas limités aux quatre sujets initiaux, ils ont exprimé largement leurs témoignages ou leurs idées sur des sujets spécifiques ou transversaux, ils ont élaboré des solutions politiques parfois déjà appliquées dans certaines communes et mutualisables. Le gouvernement retiendra en une phrase un « immense besoin de justice et d’équité ». »

 

Texte complet à retrouver ici

 

Par Anna Mélin