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Entretien exclusif avec John Billard, maire du Favril (28), premier village français à installer une cabine de télémédecine

Villes Internet : La première cabine de téléconsultation va être en mise en service dans votre mairie le 7 octobre 2019, vous portez ce projet depuis longtemps, est-ce que cela a été simple à mettre en œuvre ?

 John Billard : Cela fait deux ans que je me bats pour mener ce projet à bout, je ne pourrais pas dire que ça a été très simple. Il va voir le jour la semaine prochaine, j’en suis très heureux. La partie technique a été la plus évidente, d’autant que la commune est déjà fibrée. Le partenariat avec H4D [l’entreprise créatrice de la télécabine – NDLR] a très bien fonctionné. Nous entrons dans une phase d’expérimentation, à la fois pour les patients et pour les professionnels de santé. Actuellement pour obtenir un rendez-vous avec un médecin dans notre bassin de vie ça peut prendre au moins quinze jours, car ils sont saturés. L’idée ce n’est pas de les remplacer, mais de pallier leur manque de disponibilité.

VI : Ressentez-vous une forte peur de changement chez les médecins ?

 JB : Je multiplie les réunions avec les professionnels de santé, le conseil de l’ordre, l’agence régionale de santé… et je constate que la peur est réelle. Je fais souvent le parallèle entre ce débat et celui sur la robotisation. Il y a une crainte des nouvelles technologies, du numérique. Ce comportement ne me choque pas, car il est le même dans toutes les activités. Il existe une inquiétude sur l’« ubérisation » de la médecine, comme elle se trouve chez les avocats, le commerce, etc. Pour lutter contre ces dangers, je pense que les professions — ici en l’occurrence les médecins — doivent prendre la main sur ces technologies pour qu’elles soient à leur service et qu’elles leur apportent quelque chose. Ainsi, la télémédecine leur apporte plus d’expertise, un accompagnement, elle peut permettre de limiter les déplacements et même le télétravail.

VI : Le fait que l’assurance maladie décide de rembourser une partie des soins va-t-il lever des réticences ?

 VI : Oui, car la CPAM est un marqueur fort. Mais non, parce que les règles sont tellement draconiennes que ça ne marche pas aussi bien qu’ils l’avaient prévu. Je rappelle qu’en un an, ils avaient envisagé 500 000 actes de télémédecine et que le premier bilan fait état de 60 000 téléconsultations, dont les deux tiers sont réalisés à des patients par leur médecin traitant. Ça ne résout donc pas le problème de la désertification médicale. Les règles draconiennes sont issues d’une pression importante de la part des médecins. Et pour cause ! La pénurie de praticiens favorise tous les modèles de téléconsultations médicales. Or, tous les systèmes ne se valent pas. On a vu émerger des plateformes qui font de la téléconsultation par téléphone — c’est le bas de l’échelle en termes de services. La cabine H4D est la rolles royce du sujet. Entre les deux, l’écart est très important dans lequel beaucoup de solutions exigent des interventions humaines (infirmier, aide-soignant…) qui font parfois également défaut dans les déserts médicaux.

Néanmoins, ces réticences, et donc celles du remboursement par la CPAM, sont des freins déterminants à la mise en place de services de qualité.

VI : Pouvez-vous nous préciser le fonctionnement de la télécabine que vous allez installer dans votre village ?

JB : Au Fravril, en accord avec l’ARS, le patient prendra rendez-vous soit sur le site Internet du village, soit par téléphone, ou il viendra à la mairie. La secrétaire de mairie sera la référente. C’est elle qui accompagnera le patient à la cabine et lui expliquera comment va se déroulera la consultation. Il sera alors en visioconférence avec un médecin formé à l’utilisation de cette technologie. Cette machine réalisera 80 % des gestes qui permettront au docteur d’établir son diagnostic.

Nous pourrons avoir une consultation toutes les trente minutes.

 VI : C’est un projet purement municipal ?

 JB : Non, car il y a 360 habitants au Favril donc si nous ne le faisions que pour eux ça couterait trop cher. Nous avons été soutenus par la préfecture, le conseil départemental, la Caisse des Dépôts et des consignations, l’ARS et la communauté de commune.

 VI :Quelle est la place de la population dans ce projet ?

 JB : Mes concitoyens ont longtemps pensé que j’étais un peu fou de me lancer dans cette idée. Mais avoir un maire un peu fou qui innove et nous permet d’être le lieu d’une première nationale est plutôt bien vécu. Ils sont fiers de leur village !

J’ai organisé une journée de découverte avec tous les maires du conseil communautaire et ils ont été agréablement surpris que cette cabine voie enfin le jour. Ils comprennent l’intérêt pour leurs propres habitants.

Deux ans de travail aboutiront le 7 octobre, c’est une grande satisfaction. J’ai hâte de mettre les informations à jour sur le site de Villes Internet et de décrocher de nouveaux arobases lors de la prochaine cérémonie des labels  !

 La télémédecine en zones rurales : notre dossier spécial

À vos marques ! Prêts ? Partez ! Depuis le 15 septembre 2018, et l’avenant 6 à la convention médicale, la téléconsultation, c’est-à-dire la consultation à distance entre un médecin et un patient, est prise en charge par l’Assurance Maladie de la même manière qu’une consultation classique (de 25 € à 30 € selon les cas). Elle est ouverte à tous les médecins, quelle que soit leur spécialité, y compris pour la prise en charge des consultations psychiatriques. Elle doit s’inscrire dans le cadre traditionnel du parcours de soins, et donc passer par le médecin traitant. Par ailleurs, le patient doit être connu du médecin traitant ou spécialiste qui réalise la téléconsultation. La mise en place de la télémédecine en général, et de la téléconsultation en particulier, est un enjeu clé pour l’amélioration de l’organisation du système de santé et l’accès aux traitements pour tous les assurés sur le territoire. Comme le souligne Ameli.fr, « elle permet une prise en charge et un suivi plus rapide, en évitant que des patients renoncent à des soins, car ils ne trouvent pas de médecins spécialistes ou à cause de délais de prise en charge trop longs. » Mais qu’est-ce que la télémédecine exactement ? Quel est son encadrement juridique ? Si cette nouvelle technologie apparaît comme la solution aux déserts médicaux dans les territoires ruraux, comment cela s’articule-t-il avec la fracture numérique ? Des enjeux qui concernent les Villes Internet !

Par Anna Mélin