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Les algorithmes : pour des villes numériques responsables – 4e épisode

Le numérique n’est pas une donnée homogène et uniforme. Il diffère selon les territoires, les attentes et les besoins socio-économiques des habitant·es, les entreprises implantées, les ressources et moyens des collectivités et les choix stratégiques de ses gouvernant·es. Mais il est une toile de fond sur l’ensemble de l’hexagone aux usages multiples et constitue une boîte à outils précieuse pour mettre la technologie au service des citoyen·es.

 La massification des données, leur détournement par des entreprises privées à des fins parfois contestables, les biais et le manque de transparence de certaines applications donnent lieu à des dérives sur le plan des libertés publiques et fondamentales.  L’inquiétude ne repose pas sur l’existence de la donnée, le nouvel or invisible, mais sur son exploitation et la nébuleuse qui l’entoure. Qui contrôle quoi, comment et où ? Et surtout pourquoi ? Le manque de régulation des instances publiques des flux ininterrompus d’algorithmes génère légitimement de l’inquiétude.

Nier leur existence, les rejeter unilatéralement ou les diaboliser serait contreproductif. Le numérique ne s’arrête pas au seuil d’une porte, il nous concerne tous et toutes. L’usage des algorithmes doit dès lors constituer une priorité pour les gouvernant·es et les citoyen·nes des villes et des territoires. Il incombe aux municipalités et métropoles de bâtir, en concertation avec les habitant·es, des équipements sûrs et un usage des algorithmes démocratique et sécurisé.

Les algorithmes : cet or invisible convoité

L’emploi des algorithmes fait partie intégrante de nos paysages, de nos infrastructures, de nos nouvelles manières d’échanger et de communiquer. Selon un rapport du Parlement européen[1],  90 % des villes européennes de plus de 500 000 habitant·es et 43 % des villes de 100 000 à 200 000 habitant·es sont des smart cities. Depuis la naissance du concept de smart city en 2005, la ville dite intelligente recouvre depuis des acceptions multiples et des réalités différentes dans sa mise en œuvre. L’Europe et en France ont choisi une approche dans laquelle s’exprime une volonté d’équilibre intégrant ces innovations technologiques aux spécificités culturelles et territoriales, en adéquation avec les attentes du couple usager-citoyen.

Les pouvoirs publics n’ont pas eu les moyens suffisants pour maîtriser la vague numérique et son corollaire, la houle algorithmique.  De cette anticipation vacillante a résulté un cadre mouvant, dans lequel les collectivités dessinent leur ville intelligente, avec plus ou moins de latitude. Certaines empilent les briques numériques qui reposent uniquement sur des solutions privées, ce qui constitue un écueil en matière de contrôle des données, de sécurité et de souveraineté numérique ; d’autres engagent leur ville dans une voie médiane, qui se matérialise par partenariats publics-privés. La nature a horreur du vide : si les pouvoirs publics ne s’approprient pas cette responsabilité, le risque est de laisser voir se privatiser les outils numériques et de conférer ce pouvoir aux mains de quelques-un·es dont les intérêts divergent de l’intérêt collectif.  « Les technologies numériques s’inscrivent dans un mode de gouvernance tout en les recomposant. »[2]

Les civic tech: des algorithmes pour vivifier la démocratie

Deux Français·es sur trois aimeraient pouvoir s’impliquer davantage dans les décisions publiques qui les concernent. Le numérique est un outil pertinent pour mobiliser habitant·es et associations autour de biens communs, et élaborer conjointement de nouvelles solutions, refaire du politique à la marge des institutions.[3]  Le foisonnement des civic-tech et des applications offrant des formes de participation en témoignent. Un chiffre vient conforter cet intérêt : un Français·es sur trois est inscrit sur au moins une plateforme collaborative en ligne.

 L’ouverture des données est un processus encourageant pour assurer auprès des citoyen·nes la transparence de l’activité de nos représentant·es, contribuer au débat public et de l’enrichir. En 2015, Claude Bartolone, alors Président de l’Assemblée nationale, avait fait adopter la proposition de mettre à disposition les données de l’institution pour les rendre accessibles et exploitables par tous, sans restriction technique, juridique ou financière. Les collectivités se sont également engagées dans cette dynamique, comme en témoigne la plateforme participative mise en place par la ville de Grenoble (38) @@@@@ 2021 #territoire d’excellence, illustrant cette volonté politique d’associer, au moyen du numérique, les Grenobloises et Grenoblois à un projet commun.

La donnée : pour une ville systémique, écologique et ouverte aux habitant·es

L’ouverture des données publiques représente une richesse pour les collectivités et les services rendus aux contribuables. Les algorithmes représentent un levier non négligeable pour les habitant·es et leurs représentant·es en matière de services publics, mais également un catalyseur économique et écologique. Les algorithmes permettent par ailleurs de recueillir des informations précieuses pour aider à la prise de décision des pouvoirs publics. Il peut s’agir de la qualité de l’air, de la régulation du trafic routier ou de l’information auprès des usager·es des possibilités de transport… La conduite de projets des services urbains s’en trouve renforcée et efficiente, produisant des résultats quant à la mobilité, la consommation d’énergie et la gestion de l’eau et des déchets. Ces traces numériques, disséminées dans notre environnement, sont certes invisibles mais porteuses de changements dans l’administration d’une collectivité.

État des lieux des villes algorithmiques systémiques

Les territoires sont identifiés comme smart city selon différents critères, c’est d’ailleurs souvent un terme auto-proclamé, ils auraient tort de s’en priver.  

Parmi ces critères, des collectivités ont nommé un référent pour piloter la démarche de déploiement d’une ville collaborative et écologique, comme Choisy-le-Roi @@@@@ 2021. Certaines, comme Amboise @@@@ 2021 ou la CA de Bastia @@@@ 2021 se sont lancées dans l’open data aux entrepreneur·es et aux citoyen·nes. Plusieurs travaillent sur des plateformes donnant la parole aux habitant·es comme Canéjan (33) @@@@@ 2021. Certaines sont considérées comme des smart grids, à savoir des conceptrices d’expérimentations de réseaux d’énergie intelligents comme le data center de la ville d’Anzin (59) @@@@@ 2021.  Ces architectures algorithmiques permettent une consommation en provenance des énergies renouvelables ou le partage des énergies dans un même quartier. Nombreuses d’entre elles ont par ailleurs déployé des solutions pour un éclairage public, modulable selon la fréquentation ou des horaires. Enfin, des collectivités ont mis en place des équipements intelligents pour la gestion des déchets, par l’utilisation des capteurs, facilitant à la fois le travail des éboueurs et des services de la municipalité mais agissant également sur le coût et l’impact écologique des villes. 

La terminologie « ville intelligente » biaise les réalités diverses qui traversent les territoires et leurs moyens. L’intelligence ne réside pas par essence dans les outils numériques. Un village rural qui n’a pas les moyens matériels d’utiliser les algorithmes, ou qui n’en a simplement l’usage, n’est pas moins intelligent qu’un autre. En revanche, là où les données s’imposent, où les capteurs des entreprises sont déjà présents et ou la prise de décisions est complexifiée par la densité de la population, il serait dommage de ne pas déployer les outils numériques. Les villes Internet ne s’y sont pas trompées et multiplient les démonstrations que leurs territoires sont intelligents.

 

 

[1] Mapping smart cities in the EU

[2] Gouverner la ville numérique, Antoine Courmont et Patrick Le Galès, PUF, 2019

[3] Nicolas Douay, L’urbanisme à l’heure du numérique, Londres, Iste Editions

 

Lecture approfondie : 

Gouverner la ville numérique, ouvrage collectif dirigé par Antoine Courmont et Patrick Le Galès, La vie des idées, éditions PUF, 2019 

Dossier spécial : les biais algorithmiques

Par Anna Mélin