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Mission d’information de l’Assemblée nationale sur la commune dans la nouvelle organisation territoriale

Le 2 décembre 2018 avait lieu la réunion constitutive de cette nouvelle mission d’information, présidée par le député de Saône-et-Loire Remy Rebeyrotte. Cette mission s’inscrit dans la continuité de la loi NOTRe, acte III de la décentralisation, promulguée le 7 août 2015. La question du numérique territorial est une composante majeure de l’innovation territoriale. Une table ronde rassemblant l’Agence du numérique, le Conseil national du numérique et Villes Internet a planché devant les députés le mardi 30 avril 2019 au matin.

Dans son propos liminaire, Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée générale de l’association Villes Internet, experte en Internet citoyen et numérique urbain, rappelle que contrairement à ce qu’on entend souvent, la France n’est pas en retard en termes de déploiement des services publics numériques. Et cela, grâce à la volonté et aux compétences de milliers de collectivités locales engagées dans la voie de l’innovation depuis de longues années.

L’État français impulsé déjà par des élus locaux a porté les sommets mondiaux de la société d’information et le G20 sur la fracture numérique en 2002. Il s’est ainsi lancé très tôt sur les programmes de lutte contre l’exclusion par le numérique. Malheureusement, ces sujets sont passés au second plan derrière le développement de l’économie numérique, des starts up de la French Tech par exemple. La transition numérique des TPE-PME reste ainsi extrêmement lente.

Parmi les points positifs, on constate une solide continuité du service du numérique éducatif pour l’acculturation au numérique des enfants et des jeunes scolarisés. La direction du numérique éducatif au ministère de l’Éducation nationale fait un travail formidable avec des enseignants innovants, à l’école et au-delà avec des acteurs de l’économie sociale et solidaire comme la Maïf et son Maif Numérique Tour, ou avec Qwant Junior.

Et la déléguée générale de Villes Internet de poser la problématique de la relation entre le secteur public et le secteur privé, avec un code des marchés publics à actualiser pour le déploiement des services publics numériques et leur accompagnement.

Elle affirme « Les collectivités doivent empêcher, en proximité, cette discrimination de l’iniquité numérique qui s’ajoute aux difficultés sociales. L’État doit faciliter le financement des actions en ce sens ».

Et rappelle l’influence majeure des outils et services du secteur privé international sur le « marché » français des services publics. De nombreux ministères, associations, collectivités, n’ont pas conscience du risque pris en hébergeant leurs données sur des serveurs américains. Les dangers tendent à s’accroître depuis que le Congrès américain a voté le CLOUD Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act, « loi clarifiant l’usage légal des données hébergées à l’étranger ».

La fondatrice de l’association alerte : attention à une forme larvée de « privatisation » des services publics qui passe par les nombreux sous-traitants français de ces grands groupes. « L’exclusion par le numérique est un fait concomitant et corrélé au risque de privatisation des services publics. »

Aujourd’hui, à qui doit-on confier dans nos villes l’éducation populaire au numérique et la formation des salariés et entrepreneurs ? Aux « ateliers Google », lieux d’accès gratuit qui se déploient dans les villes françaises (déjà à Rennes et Montpellier, et plusieurs dizaines programmés) ? Les services y sont très bien pensés et organisés avec des moyens matériels et humains importants. Le bénéfice se comptera à la sortie au nombre d’abonnements aux suites logicielles et applications de Google. Et que penser des organismes de formations gratuites créés dans nos villes européennes par Facebook ? Et du succès des offres de formation d’Apple ou Orange auprès des enseignants ?

Des choix politiques, et non pas technologiques, sont à faire en proximité dans les territoires et devront précéder toute régulation nationale, souvent hâtive en la matière, comme le démontre l’insuffisante approche d’un tarif social de l’Internet dans la loi pour la République numérique.

Elle ajoute que les collectivités doivent avoir les moyens de travailler sur la qualité des services publics locaux. Ils doivent être à la hauteur des services alternatifs proposés directement aux citoyens par le secteur privé : l’amélioration ergonomique des interfaces des services publics est une priorité. Elle doit être mise en œuvre en même temps que les référentiels de formation à l’accompagnement des agents, qui seront dirigés prioritairement vers les personnes les plus éloignées de ces services dans les quartiers « politique de la ville » par exemple.

Face à ce constat, elle formule trois recommandations, également rappelées dans la contribution écrite remise à la commission.

La première consiste à accélérer le travail d’échange d’expériences entre acteurs publics [mission fondamentale de Villes Internet depuis 20 ans] par la création d’un baromètre national des freins et leviers de l’accès aux services publics numériques, basé sur l’expression des usagers, mais aussi des acteurs publics locaux. Ce repère permettrait à tous les acteurs publics une prise de conscience rapide des enjeux. Cet outil d’acculturation pourrait être relayé par les SGAR TIC pour accompagner leur d’appui aux projets des collectivités avec de nouveaux financements [État/Europe].

La seconde recommandation préconise de sanctuariser des services publics numériques de proximité fondamentaux, à diffuser à tous, partout. Tous les services publics de proximité ne sont pas vitaux, certains le sont, ils doivent être identifiés et leur déploiement « pour tous partout » assuré à court terme avec des aides directes de l’État. Pour cela une compétence « service numérique local » serait décrite par et pour les collectivités y compris petites et moyennes en fléchant les compétences et les ressources utiles.

Enfin, Florence Durand-Tornare propose, dans une troisième recommandation, de sensibiliser les élus et agents à cette réalité qu’un choix technologique est un choix politique qui a des effets parfois graves sur la société locale. Cela leur permettrait d’impulser en conscience une gouvernance locale des services numériques et de la donnée publique. Le risque de surveillance du secteur public par les GAFAM et autres entreprises mondialisées est une raison suffisante pour organiser cette gouvernance.

À l’occasion de l’élection des nouvelles équipes municipales, il est important de désigner dans chaque commune un élu au numérique, de nommer un agent référent numérique dans chaque service et d’installer un « conseil local de l’Internet citoyen », commission extramunicipale impliquant les habitants.

« La gouvernance des données locales et le choix des techniques pour rendre le service public et des méthodes de mesure pour gérer l’espace public sont des priorités nationales dont l’échelle locale doit s’emparer afin d’assurer l’équité dans l’accès aux services publics, le respect des biens publics et la préservation de l’espace public. »

Lors du grand débat national, le numérique est revenu régulièrement dans les verbatims, comme un outil porteur d’espoir pour la démocratie, sous réserve qu’il soit équitablement distribué. Florence Durand-Tornare insiste : la confiance des Français dans leurs institutions locale est encore là, il faut la protéger. Or « service public numérique » est vecteur d’une certaine défiance et d’un sentiment d’insécurité que les collectivités locales doivent combattre avant qu’il ne s’installe. Elles ont le devoir deplacer l’égalité numérique dans leurs priorités.

Voir la vidéo complète

Voir la vidéo complète avec les interventions essentielles de l’Agence du numérique et du Conseil national du numérique et les questions des députés.

Pour organiser une conférence-débat sur ces sujets contacter Villes Internet : [email protected].

 

Par Anna Mélin