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Mouvement du libre et Gafam, la bataille du futur

Logiciels libres et services publics

Il est fréquent que les générations qui se succèdent aient l’impression d’inventer de nouveaux concepts en en changeant les noms, la présentation ou la communication. Le numérique n’échappe pas à ce mouvement, bien au contraire. On nous parle de médiation numérique comme d’une idée inédite et révolutionnaire, quand elle existe depuis de nombreuses années déjà. De même, il serait possible de croire que les logiciels libres auraient vu le jour ces dernières années, à la suite de l’élan novateur incroyable des start-ups nations. Alors qu’ils ont vu le jour dès les années 1960, sans en porter le nom, libres sans le savoir.

Villes Internet consacre un dossier à sujet, outil démocratique central de l’Internet citoyen. Nous reviendrons sur l’histoire des logiciels libres et leurs définitions avant d’aborder l’usage qui en fait par les services publics et les collectivités locales en particulier.

Épisode 2

Mouvement du libre et Gafam, la bataille du futur

Lorsqu’il s’agit du numérique, le vocabulaire employé est souvent imprécis. La prédominance des termes anglophones y est probablement pour beaucoup. L’évolution rapide des concepts et techniques complique également la tâche. Ainsi, l’usage confond souvent open source avec logiciel libre. Le terme de logiciel libre est plus précis et s’appuie sur l’importance des libertés, quand l’open source s’appuie principalement sur l’accessibilité du code. [Lire à ce sujet, le premier épisode de ce dossier].

Comme le rappelle le synopsis du documentaire de Philippe Borrel La bataille du Libre [À visionner ici], désormais l’informatique est au cœur de presque toutes les activités humaines. A t-elle contribué à faire de nous des citoyens plus autonomes ? Ou plutôt les consommateurs passifs d’un marché devenu total ? Logiciels libres, semences libres, médicaments libres, connaissances libres… En mettant l’accent sur la liberté, la coopération et le partage, ces initiatives redonnent par la même occasion de l’autonomie et du pouvoir à leurs utilisateurs et utilisatrices. 

Pour une société libre, il faut du code libre1

Lorsque Richard Stallman a fondé le mouvement du libre dans les années 1980, c’était avec une approche très politique, proche de la devise “liberté égalité fraternité”, la liberté concernant en priorité les utilisateurs et utilisatrices. Ils étaient désormais libres d’utiliser un logiciel, de l’étudier, de le distribuer et de le modifier. Certain·es vont même plus loin, considérant que la liberté des utilisateurs et utilisatrices existe lorsqu’ils savent utiliser les codes qui sont à leur disposition.

“Que ce soit dans le domaine médical, boursier, industriel, éducatif, ou même agricole, il n’existe presque plus de secteurs d’activité ayant échappé à l’emprise du code informatique. Nous en dépendons dans tout secteur de l’activité humaine dans lequel le savoir est clef. Et nous perdons au passage toujours plus de notre autonomie puisque la plupart des logiciels auxquels nous recourons sans le savoir sont dits « propriétaires » : leur code source protégé par des brevets qui appartiennent à de grandes firmes qui en tirent une rente dont le montant est de plus en plus démesuré.”

Déclin ou expansion du mouvement du libre, l’enseignement de l’achat de GitHub par Microsoft

En 2018, Microsoft a fait l’acquisition de la société GitHub pour 7,5 milliards de dollars. Le plus grand référentiel de code open-source sur le web, où plus de 27 millions de développeurs et développeuses partagent leur code et collaborent sur des projets dans le monde entier passait ainsi sous le giron de la multinationale. 

Que dit cette transaction de la santé du mouvement du libre ? Certain·es la voient comme une trahison de GitHub vis-à-vis de ses millions d’utilisateur·trices qui perdent leur indépendance. D’autres considèrent que GitHub est une société privée à but lucratif et qu’il est logique qu’elle réponde aux lois du marché. Cet achat démontre quoi qu’il arrive l’intérêt de Microsoft pour le libre, à la fois en termes d’image, d’évolution de son approche du monde informatique et surtout d’un point de vue financier évidemment, Microsoft n’étant pas une société philanthropique. Dans le cadre d’un procès antitrust intenté contre Microsoft, le département de la justice américaine a un jour qualifié la stratégie de Microsoft par 3 verbes : adopter, étendre et étouffer. C’est une stratégie commerciale : prendre ce qui marche bien, l’open source fonctionne bien donc c’est normal que Microsoft s’y intéresse, puis y ajouter des fonctionnalités fermées et donc lucratives.

Cet événement nous enseigne donc que le mouvement du logiciel libre se porte bien, mais n’a pas gagné la bataille. Il montre que l’intérêt pour l’open-source est devenu incontournable dans le secteur du développement logiciel, mais que la philosophie de logiciel libre en matière de gouvernance collective reste à défendre. 

De la liberté à la décentralisation, l’enjeu du 21e siècle

Avec ses 36 millions d’utilisateurs, GitHub est devenu un géant du Web, même avant son rachat par Microsoft. Certes, sa culture était celle du mouvement du logiciel libre, mais on pouvait s’interroger sur les raisons qui poussaient les développeurs et développeuses à toutes et tous mettre leurs codes au même endroit, et penser les conséquences de cette centralisation pour la culture du libre. Ce questionnement a pris tout son sens lorsque Microsoft a acheté GitHub et ses millions d’utilisateurs avec. Bien sûr, ils et elles étaient libres de quitter la plateforme, mais cela est plus facile à dire qu’à faire. GitHub était devenu un vaste réseau social dont beaucoup de développeurs et développeuses ont du mal à se séparer, tout comme il est difficile pour certain·es de s’affranchir des outils des GAFAM qui sont installés dans nos vies. Or, les outils numériques actuels impliquent l’utilisation de services exécutés sur des serveurs distants et non sur notre propre ordinateur : l’enjeu de l’accès au code source tend alors à se déplacer vers ceux de la propriété des infrastructures et de la circulation des données.

La décentralisation correspond donc à un besoin de gouvernance démocratique et répond en partie aux problématiques de protection des données personnelles.

Dès lors, comme le dit le sociologue italien Antonio Casilli2, « le plus grand pari qui est derrière le logiciel libre est d’inventer une ressource commune en termes de savoir et de services, qui ne se fasse pas capter par les puissances du capital ou les puissances de la répression politique et sociale. Un Internet sans militaires par exemple, un Internet qui soit vecteur de certaines valeurs sociales et certaines valeurs politiques qui relèvent, par exemple, de la mise en commun des ressources économiques, de l’accès à la culture et à l’éducation d’un nombre important voire de la totalité de l’humanité et, encore une fois, un vecteur de paix dans le monde.

 

1.Slogan de la Free Software Foundation Europe

2.Les logiciels libres – MOOC CHATONS

 
 

Dossier spécial : les logiciels libres

Par Anna Mélin