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Point sur l’accessibilité numérique avec l’experte Armony Altinier

Le 17 mai 2018 avait lieu la journée mondiale de sensibilisation à l’accessibilité numérique (alias GAAD, pour l’anglais Global Accessibility Awareness Day). Cette initiative a donné lieu à une mobilisation de la communauté d’agglomération Roissy Pays de France qui a organisé un événement de sensibilisation en partenariat avec la startup solidaire Koena.

L’occasion d’évoquer les évolutions législatives pour les collectivités territoriales avec la fondatrice de Koena, Armony ALTINIER, également experte en accessibilité numérique et co-auteure de la version 3 du Référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA).

Villes Internet : Quelle a été l’évolution essentielle de la dernière version du RGAA ?

Armony ALTINIER : C’est le 29 avril 2015 qu’a été publiée la version 3 du RGAA par arrêté ministériel (voir sur Légifrance) . Cette version a subi depuis 2 mises à jour mineures, une par an. La version actuellement en vigueur est la version 3.2017.

La mise à jour vers la version 3 a permis 2 évolutions majeures :

  1. une prise en compte du JavaScript accessible : dans la version 2.2, une alternative était obligatoirement requise à tout composant codé en JavaScript, ce qui était devenu incompatible avec les pratiques de développement modernes. La version 3 a tiré parti des dernières évolutions techniques pour autoriser JavaScript, à condition que ce soit accessible.

  2. Un changement de méthodologie. La version 3 du RGAA comprend un référentiel technique qui est en réalité une version mise à jour du référentiel AccessiWeb, projet de l’association BrailleNet qui a évolué grâce à la contribution bénévole de dizaines de professionnels depuis 2003. C’est à partir de la dernière version du référentiel AccessiWeb que la version 3 du RGAA a été conçue. C’est donc le fruit d’un travail collectif hérité de plusieurs années de contribution.

Le RGAA est composé de 3 documents :

  1. une introduction,

  2. un guide d’accompagnement,

  3. un référentiel technique.

Si l’évolution majeure concerne le référentiel technique, on peut aussi noter des changements en profondeur dans le guide d’accompagnement. Ainsi, la notion de « Risque de sur‑qualité » est remplacée par la notion d’ « Obligation d’aménagement raisonnable », héritée de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies qui définit le « refus d’aménagement raisonnable » comme une discrimination. On y trouve également l’obligation de nommer une personne au poste de « référent accessibilité numérique » pour piloter le sujet en interne (voir le Guide d’accompagnement,§4.2.2.3), et l’obligation de publier les coordonnées du Défenseur des Droits sur la page d’aide (Voir le Guide d’accompagnement, §4.2.5.2).

Villes Internet : Quelle éthique doivent déployer les organisations qui mettent en place une politique d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap ?

Armony ALTINIER : Aujourd’hui, encore très peu d’organisations ont réellement pris en compte l’accessibilité numérique. Engager une démarche dans ce sens nécessite de se poser la question du sens : que voulez-vous faire ?

  • Permettre à vos utilisateurs et concitoyens en situation de handicap d’accéder à vos contenus et services, comme toute personne, sans difficulté ?

  • Respecter la loi pour éviter les amendes ?

  • Obtenir un label pour communiquer sur votre responsabilité sociale ?

Notez que ces 3 objectifs ne sont pas exclusifs les uns des autres, mais seul le premier vous permettra de calibrer vos priorités dans une politique d’inclusion sur le long terme.

Il y a un proverbe chinois qui dit : « Quand le Sage désigne la lune, l’imbécile regarde le doigt ». Il est important de ne pas se laisser effrayer par les normes et la réglementation. L’enjeu est avant tout un enjeu de société !

Les réglementations visent à le rappeler et proposent des mesures pour lutter contre l’exclusion qui sévit actuellement à mesure que de nouveaux usages numériques se développent, sans être accessibles à toutes et tous.

Quant au RGAA, il s’agit d’un outil pour mesurer la conformité aux règles internationales et européennes. Ce n’est donc qu’un outil, et pas le seul !

L’éthique que je préconiserais serait donc de placer les personnes handicapées au cœur de la politique accessibilité numérique que souhaite mener l’organisation, sans négliger pour autant les aspects techniques en prenant soin d’inclure cette question dans la politique formation de l’organisation.

Comme le disait Stephen Hawking : « Le premier ennemi de la connaissance n’est pas l’ignorance, c’est l’illusion de la connaissance. ». En matière d’accessibilité numérique, nous voyons fréquemment chez Koena de bonnes intentions rater leur cible en raison d’un manque de formation.

Villes Internet : 3 conseils aux collectivités qui veulent améliorer l’accessibilité de leurs sites ?

Armony ALTINIER : Voici les 3 conseils que nous pourrions vous donner :

  1. Un geste très simple et pourtant essentiel à mettre en œuvre, c’est de rédiger une lettre d’engagement de la Direction et de la communiquer en interne. Dans les collectivités, il s’agit généralement d’un engagement politique de la part d’un élu ou d’une élue. Cela peut paraître anecdotique, mais sans un portage du sujet par la Direction, il peut être compliqué pour une organisation d’adopter une démarche accessibilité numérique de façon optimale, c’est-à-dire de façon transversale. Cette action a par ailleurs le mérite de n’avoir aucun impact sur le budget de la collectivité.

  2. Nommer une personne à la fonction de référent accessibilité numérique. Cette nomination répond à une obligation légale décrite dans le guide d’accompagnement du RGAA, mais permet surtout de désigner un ou une « pilote » afin d’ancrer cette politique en interne, seul moyen pour progresser sur le long terme. Cette personne devra être formée, mais elle n’a pas besoin d’être experte du sujet. Et cette fonction peut bien sûr se cumuler avec d’autres fonctions. Il s’agit avant tout de matérialiser le portage politique par un pilotage interne.

  3. Rédiger un schéma pluriannuel d’accessibilité numérique, décliné en plan d’action annuel avec budgets et délais associés. Ce document est rendu obligatoire depuis octobre 2016 par la Loi pour une République numérique qui a modifié l’article 47 de la loi handicap de février 2005. Mais il s’agit surtout d’un document pratique qui permet de rendre concret et opérationnel l’engagement politique pris par la Direction.

À noter que le schéma pluriannuel est une nouvelle obligation légale qui devrait entrer en vigueur une fois le décret publié, ce qui devrait intervenir d’ici septembre 2018. En effet, une Directive européenne (voir la Directive 2016/2102 du 26 octobre 2016 sur le site du JOUE) est également parue en octobre 2016, pratiquement en même temps que la loi pour une République numérique, et impose une transposition en droit français d’ici le 23 septembre 2018, sous peine de sanction contre la France en cas de retard. Nous savons que l’administration centrale travaille donc d’arrache-pied pour tenir ce délai.

En cas de non‑publication de ce schéma pluriannuel, les organisations soumises à cette obligation, notamment les collectivités, risquent une sanction financière pouvant aller jusqu’à 5000 € par an et par service public en ligne, mais les modalités doivent encore être précisées.

Par Michaël Bideault