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Entretien avec Alexis Poulin, co-fondateur du média indépendant Le Monde moderne

Le 12 avril dernier se tenait une conférence sur l’intelligence artificielle et la souveraineté numérique, initiée par l’agence de communication Com’en bleu. En pénétrant dans la salle, les participants étaient surpris par la configuration atypique des chaises. Trois rangées de part et d’autre se faisaient face, il y flottait un air de la Chambre des lords, volontiers assumé par les organisateurs de l’événement, un clin d’œil aux débats sur le Brexit.

La star de l’après-midi était Cédric Villani mathématicien et député de l’Essonne, aux côtés duquel intervenaient une dizaine d’entreprises, toutes conscientes de l’enjeu de la protection des données et du rôle qu’elles pouvaient incarner dans ce contexte.

Discrètement installé au milieu du public, Alexis Poulin, co-fondateur du média Le Monde moderne, était à l’initiative de la manifestation. Il a accepté de répondre à nos questions.

Anna Mélin : Vous avez annoncé votre volonté de créer un Institut de la souveraineté numérique. Que reprochez-vous au système actuel ?

Alexis Poulin : Les GAFAM[1] sont de plus en plus critiquables sur leur gestion des données personnelles et l’utilisation qu’ils en font, avec en plus un problème d’indépendance stratégique. Et pourtant, nous n’avons pas les moyens de notre souveraineté en Europe ni en France.

L’idée de cet institut est d’offrir leur chance à des projets européens et français d’emporter le marché. Pour cela, nous devons également œuvrer à la mise en place de nouvelles habitudes, en intégrant le paramètre d’un prix plus élevé. Un peu comme le « made in France », ça coûte plus cher de passer par des entreprises françaises ou européennes, mais il faut être prêts à consentir à cet effort pour préserver notre souveraineté.

D’ailleurs, la prise de conscience est en train de s’opérer, en 18 mois beaucoup de choses ont changé. Facebook a d’ailleurs fait beaucoup, malgré lui, pour que ça change tellement il y a eu de couacs. La population est désormais convaincue par l’enjeu donc la progression va se poursuivre, mais nous n’avons pas encore l’outil de lobbying qui permettrait de faire avancer les pouvoirs publics, qui eux, sont très à la traîne.

Cédric Villani l’a rappelé dans son intervention, la loi concurrentielle européenne est très mauvaise et il y a des blocages des administrations qui font tout pour éviter que des solutions techniques soient mises en place.

AM : Vous aviez déjà organisé un événement il y a un an et demi, quelle est la prochaine étape ?

AP : C’est celle de la création de l’institut de la souveraineté numérique. Il aura un conseil de surveillance étendu, dont nous avons eu un aperçu aujourd’hui. Puis, le 13 mai prochain, nous organiserons un événement avec les têtes de listes aux élections européennes. Nous leur proposerons d’adhérer au Pacte de la souveraineté numérique, à l’instar du Pacte pour le climat qu’avait porté Nicolas Hulot. En acceptant ce pacte, les candidats et candidates s’engageront à mettre en œuvre de manière rapide et évidente un plan de souveraineté numérique.

AM : Quel sera l’objectif de cet institut ?

AP : Notre ambition est de protéger les citoyens européens du mensonge que représentent les offres de service des GAFAM.

L’institut pour la souveraineté numérique sera le lobby qui permettra de connecter plusieurs milieux au niveau français et européen : les législateurs, les porteurs de projet, les entreprises, les chercheurs… En somme, les personnes qui ont conscience que quelque chose se passe et qui souhaitent agir.

À titre individuel, je soulève le danger que représente le capitalisme de surveillance porté par la Chine et les États-Unis. Le paradoxe de l’ouverture des données publiques (open data) est en effet de donner de la matière aux GAFAM pour qu’ils réalisent des bénéfices. Ce sont les seuls à avoir les moyens de faire des données publiques un objet de profit. Il faut un modèle alternatif, nous pouvons faire autrement et protéger les citoyens.

AM : Pourtant, l’enjeu de l’open data est un enjeu démocratique ?

AP : Effectivement c’est le cas. Mais pour que ce soit vraiment démocratique, il faut que tout soit ouvert, y compris les algorithmes des plateformes. Soit la donnée est un bien mondial, soit on joue le jeu de la concurrence. On ne peut pas continuer à être aussi naïfs.

Nous devons avoir conscience qu’il y a quelque chose à réaliser en Europe pour construire un autre Internet, une autre philosophie sur la protection et l’exploitation des données.

 

[1]GAFAM (apparu au milieu des années 2000 sous la forme GAFA) est un acronyme formé par la lettre initiale des cinq entreprises Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Il désigne désormais une quinzaine d’entreprises mondiales, dites les « géants du Web ».

 

 Souveraineté numérique : notre dossier spécial

Par Anna Mélin