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« La démocratie interactive » – Revoir la conférence de Jacques Lévy

Parenthèse universitaire pendant les deux jours de débats du congrès des élus au numérique et de la remise du label, la conférence de Jacques Levy a été l’occasion pour les élus d’étoffer leurs connaissances. Véritable plongée au cœur de l’analyse de la démocratie interactive, cette présentation a permis à l’auditoire  d’affiner son analyse et d’étayer ses arguments.

Jacques Levy a problématisé son propos autour d’une question : qu’est-ce qui peut nous aider à mieux faire fonctionner la vie politique avec tous ses citoyens ?
Cette question est en effet centrale dans un contexte de mobilisation des gilets jaunes et plus généralement de la crise démocratique que rencontre la France.

 

La conférence s’ouvre sur plusieurs constats

 

  • Selon le géographe, certains lieux cumulent les indicateurs de difficulté (échec scolaire, délinquance, trafic de drogue…), notamment les banlieues des grandes villes. Elles cumulent à la fois plus de problèmes et moins de moyens. Il rajoute : « Par exemple, un élève de Seine–Saint-Denis continue à coûter moins cher à l’État qu’un enfant moyen en France. Ce n’est donc pas seulement un effet de système de la société civile, mais bien aussi de la responsabilité de l’État. »
  • De même, il souligne que les grandes villes ont une surproductivité, mais que quand on tient compte du coût de la vie — en partie lié au foncier, mais pas seulement —, leur revenu médian n’est pas plus élevé que la moyenne, voire plus faible. « Si on en croit les données, ce sont les Franciliens les plus pauvres, ils gagnent moins que la moyenne des Français. »

 

Elle se poursuit sur le développement de deux écueils à éviter

 

  • Premier écueil relevé par Jacques Levy : la démocratie directe contre le politique

Professeur honoraire de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, Jacques Levy a pu faire de la Suisse un objet d’études. Ainsi, il rappelle que dans ce pays il existe un système de démocratie directe qui permet à un petit nombre de citoyens d’imposer des référendums, soit pour annuler des lois déjà votées soit pour en faire voter d’autres. Cela pose, selon lui, des problèmes très lourds qui invitent à regarder avec prudence ce genre de solutions.

  • Une multiplicité de référendums met le parlement sous pression permanente, contraignant les partis à s’entendre et empêchant toute alternance. « Tous les partis sont toujours au gouvernement, quel que soit le résultat des élections ». Certes cela diminue la conflictualité, mais ça diminue surtout l’impact du rôle des citoyens.
  • L’universitaire rajoute que cela peut donner l’impression qu’on repose la question au peuple jusqu’à ce qu’il réponde ce qu’on attend. Le vote populaire possède une telle légitimité qu’il est difficilement réversible, même s’il conduit à des effets aberrants.
  • La démocratie directe est plus forte que la Constitution et plus forte que les traités. En effet, la légitimité du peuple est telle, qu’aucun « obstacle » ne peut empêcher sa souveraineté. Elle tend alors à balayer les garde-fous constitutionnels et les engagements internationaux du pays.

Et le géographe de conclure : « la démocratie représentative est très affaiblie, le pouvoir n’appartient pas réellement au parlement. »

« À Genève, on voit les effets de blocage que peut provoquer la démocratie directe. »

 

  • Deuxième écueil : « Corps intermédiaires », les corporatismes dans l’impasse

Selon Jacques Levy, depuis l’Ancien Régime, confirmé sous la IIIe et la Ve République, les corporations, des cheminots aux énarques, des agriculteurs aux chirurgiens, campent au sein même de l’État, ils sont protégés par l’État, de telle sorte qu’ils ne craignent rien quant à la préservation de leurs privilèges.

Il ajoute que la centralisation du pouvoir et le primat à l’exécutif limitent les contre-pouvoirs aux corps intermédiaires.

Enfin, il conclut ce sujet en soulignant que traiter les collectivités territoriales, et notamment les maires, comme « corps intermédiaires », c’est leur retirer leur autonomie politique, c’est l’antithèse du fédéralisme « girondin ». Nous sommes alors très loin du projet de la Constitution de 1791. Dans l’esprit de 1791, tous les élus doivent discuter d’égal à égal, chacun représentant à sa façon l’ensemble de la société.

« Le corporatisme est la composante institutionnelle du communautarisme. Le renforcer entrave l’émergence de groupes choisis et affaiblit le dialogue individu/société. »

  

Jacques Levy dégage ensuite les pistes de la démocratie interactive

 

Pour le fondateur de la revue EspacesTemps, la démocratie interactive ne se réduit pas à la démocratie consultative. En effet, selon lui, l’interaction entre la société et la scène politique doit se faire très en amont, y compris avant même l’existence d’un projet.

« L’exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire c’est Notre-Dame-des-Landes. Si les choses avaient été faites dans le bon ordre, il y aurait un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. »

Il relève que si on veut construire la démocratie interactive, il faut garantir les deux autonomies, l’autonomie du travail parlementaire et l’autonomie de la société politique.

Des citoyens plus libres et plus responsables

Le chercheur conclut en dégageant une solution, celle de considérer que les citoyens ne sont pas seulement des porteurs d’intérêts. Il faut selon lui, prendre en compte qu’ils ont une vision globale politique de la société, comme les élus. Si on tient les citoyens pour responsables, ils se sentent responsables.

« Les citoyens ordinaires peuvent tout à la fois élire et respecter les décideurs et se penser eux-mêmes décideurs. »

 

Le géographe conclut par un appel

 

« En résumé, il faut sauver la démocratie représentative. La France est le seul pays d’Europe dans lequel il existe une quasi-dictature — élective certes — de l’exécutif. C’est aussi le pays politique le plus violent d’Europe. Les deux ont un lien, un lien complexe, car la Ve République est aussi une réponse à la violence qui existait dans la IVe République […] »

Il existe, selon Jacques Levy, une forte convergence pour dire qu’il faut revenir à un régime parlementaire dans lequel tous les courants politiques sont correctement représentés. Ce serait la première réponse à la demande de démocratie.

« La demande de démocratie interactive est très présente, c’est à la fois possible et utile. »

« Villes Internet a été pionnière à porter auprès des élus que le numérique était une chance supplémentaire pour contribuer à cette démocratie interactive. » 

Il ajoute que ce n’est pas le seul moyen, mais le fait que le numérique diminue les distances et les écrans qui peuvent exister entre les citoyens est extrêmement favorable pour créer les conditions à toutes les échelles, locales et mondiales.

Pour le géographe, le vrai résultat est de constituer des processus démocratiques qui sont continus. Donc de sortir de la « séquentialité » classique de la vie politique où les projets sont construits par des spécialistes, élus et techniciens, et ensuite éventuellement les citoyens sont consultés.

Et l’universitaire conclut en soulignant qu’il faut un processus continu qui implique sans arrêt les élus et les citoyens, de façon à améliorer la décision.

« Sur cette question, l’urbanisme a été pionnier. C’est le laboratoire de la démocratie interactive. »

 

Retrouvez la biographie de Jacques Levy ici.

Par Anna Mélin