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Dominique Boullier : « Ce n’est pas la technique qui doit diriger le monde, c’est l’expérience des citoyen·nes, des administrations et des élu·es qui tissent ensemble le chemin »

Dominique Boullier, sociologue et linguiste, est professeur des universités en sociologie à l’institut d’études politiques de Paris depuis 2009. Il y enseigne à l’école du management et de l’innovation (« innovation et numérique : concepts et stratégies »), à l’École des affaires publiques (« pluralism of digital policies » et « networks propagation and events management ») et à l’executive school où il est responsable du module de sciences sociales du master “digital humanities”.

 

Ancien élu local, Dominique Boullier sera présent lors de la cérémonie de remise du Label national Territoires, Villes et Villages Internet le 3 février 2022 où il y tiendra une conférence.

 

Quelles sont, selon vous, les priorités du numérique citoyen ?

Il faut redonner aux villes une forme de confiance dans leur capacité de décisions. Plusieurs solutions existent toujours. Elles doivent s’approprier cette capacité de décider sans répondre aux injonctions du marché.

Pour faire cela, il faut que les villes récupèrent des compétences. Aujourd’hui, des entreprises se voient déléguer toutes les compétences (données, outils…) alors que dans le même temps, les services publics urbains ne progressent pas. Il s’agit d’embaucher des personnes disposant des compétences qui contrebalancent la perte de la dépendance vers les entreprises. 

Les collectivités font face à des difficultés à recruter des spécialistes numériques. Que leur répondez-vous ?

Du point de vue culturel, il ne faut pas négliger que les personnes qui travaillent dans le secteur du numérique recherchent elles aussi un sens civique à leur activité. Les collectivités territoriales ont quelque chose à jouer. Elles doivent s’exprimer, mener une campagne d’attractivité.

Par ailleurs, le législateur doit construire un cadre légal pour permettre ce type de collaboration. Il faut être capable de donner une perspective de carrière dans le service public.

Vos travaux portent également sur le sujet de l’urbanité numérique. Quels sont les défis auxquels doivent répondre les élu·es locaux ?

Avec les données des téléphones portables, les entreprises privées captent des traces numériques qui leur permettent d’adapter leurs outils et d’en apprendre chaque jour davantage sur les usages des citoyens et citoyennes. Ces entreprises prétendent alors mieux comprendre les villes que leurs propres élu·es.

Les collectivités locales peuvent également s’équiper de capteurs qui vont générer des capacités de réaction plus rapides. Cela suppose évidemment de développer de nouvelles compétences en interne et de mutualiser les services entre les collectivités.

Comment encourager l’implication des citoyens et citoyennes dans la prise de décision locale ?

Les activités citoyennes liées à la ville qui se déroulent en ligne participent à une meilleure intelligence collective. Dans ce contexte, l’auto-organisation est une vraie richesse. Cela suppose des investissements et des choix budgétaires. Si on met tous ses œufs dans le même panier, celui d’un GAFAM par exemple, on ne peut pas sortir de la voie unique. Il ne faut pas être totalement dépendant d’une même entreprise.

Les collectivités territoriales peuvent inventer un cadre vertueux avec les entreprises et les citoyen·nes. 

Les réseaux sociaux prennent une part de plus en plus importante dans la vie des Français et Françaises. Les élu·es n’échappent pas à ce mouvement, au contraire. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

Il existe des ressources très intéressantes dans ces réseaux. Ils génèrent des ambassadeurs et ambassadrices qui promeuvent les atouts des villes dans le monde entier. Il ne faut pas hésiter à mobiliser ces ressources qui mobilisent la dimension « réseau social » de ces outils.

En revanche, il est important d’avoir conscience que ce n’est pas parce qu’on réagit à un débat qu’on y contribue. Il faut reprendre le contrôle sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas de limiter la liberté d’expression, mais de diminuer le rythme des publications qui, lorsqu’il s’emballe, favorise les propos les plus haineux et nuisent aux débats.

Si vos propos alertent les élu·es sur les écueils à éviter, vous relevez également les pistes positives que tracent les outils numériques. Quelles sont les perspectives selon vous ?

Les initiatives numériques sont très nombreuses, comme le démontre l’association Villes Internet qui permet de rassembler les connaissances, tirer des leçons et mutualiser les expériences.

Ce travail mériterait un investissement collectif. Ce n’est pas la technique qui doit diriger le monde, c’est l’expérience des citoyen·nes, des administrations et des élu·es qui tissent ensemble le chemin. L’État devrait s’appuyer là-dessus. La culture de l’expérience dans les territoires est une richesse extraordinaire. C’est le sens du Label national Territoires, Villes et Villages Internet et c’est une très bonne chose.

 

Dominique Boullier est auteur de Sociologie du numérique, Armand Colin, 2019 (2nde édition) et Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux, Le Passeur éditeur, 2020.

 

 

 

 

Par Anna Mélin