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Entre droits et devoirs, quels chantiers numériques prioriser en 2023 – Rencontre avec Axelle Lemaire

Le grand débat de la Rencontre nationale des villes Internet 2023 « Entre droits et devoirs, quels chantiers numériques prioriser en 2023 ? », avec la participation d’Axelle Lemaire, ancienne secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation et de Gil Avérous, maire de Châteauroux et président de Villes de France, permettra d’approfondir les réalités quotidiennes et les enjeux de demain pour un territoire numérique résilient et accessible pour toutes et tous. 

Les priorités numériques de 2023 dépendent des priorités politiques, économiques et sociales, à la fois de l’État et des collectivités locales. Elles dépendent également des développements technologiques et ainsi des opportunités et risques auxquels ils devront faire face.

Villes Internet : en juin 2019, vous avez publié avec Florent de Bodman, « Le numérique peut-il sauver la démocratie représentative ? L’exemple de la consultation en ligne de la loi pour une République numérique » (Enjeux numériques, Les Annales des Mines, n°6). Dans cet ouvrage, vous dites : “À l’automne 2015, nous avons mené la première consultation en ligne sur un texte gouvernemental : l’avant-projet de loi pour une République numérique a été commenté et enrichi par 30 000 internautes, avec 90 modifications intégrées au texte final et une loi adoptée à l’unanimité. Pour la première fois et grâce à une plateforme numérique innovante, le Gouvernement faisait le pari de l’intelligence collective pour donner plus de pertinence et de légitimité à une loi avant son examen par le Parlement ». Cette expérimentation a été considérée comme largement réussie, sans être jamais répliquée depuis. Que nous dit-elle des promesses de la Civic Tech pour rénover la démocratie représentative ? À quelles conditions l’exercice peut-il être répliqué et élargi à d’autres étapes de la décision publique ? Ces questions sont-elles toujours d’actualité ?

Axelle Lemaire : Ce qui a été mené à l’époque de mon mandat était assez expérimental, une innovation politique encore en devenir. La question est donc plus que jamais d’actualité aujourd’hui, quand on constate la grande défiance exprimée à l’égard des responsables politiques, y compris au niveau local dorénavant, et la désillusion sur la capacité de la politique à répondre aux grands défis du siècle. Donc oui, il est nécessaire de tenter par tous les moyens d’inventer de nouveaux espaces de discussion et de décisions, dans un débat plus apaisé. Mais pour cela il faut intégrer une dimension fondamentale qui manque aujourd’hui : le temps. La démocratie repose sur la confiance, qui passe par l’empathie et l’écoute de l’autre. Tout cela prend du temps, même avec les outils en ligne ! Prendre le temps du dialogue ce n’est pas un luxe, c’est une nécessité dans un monde interconnecté dans lequel la réactivité est à cran. Pour que l’outil numérique se mette au service d’une régénérescence de la vie démocratique, le corollaire est aussi un effort massif dans l’accompagnement des publics et participants, par l’éducation et la médiation. L’homme connecté ouvre une ère anthropologique nouvelle, les repères démocratiques et éducatifs doivent être réaffirmés mais aussi adaptés. Un jour, le déroulement du conseil municipal sera peut-être écrit par ChatGPT – autant se préparer !

On peut avoir l’impression que sur internet les droits et devoirs sont bousculés, chamboulés. Ce n’est pas une fatalité et ils sont à mettre en miroir de nos responsabilités et libertés construits sur plusieurs siècles. Si le bon usage des réseaux sociaux représente, par exemple, un défi pour les élu·es, on ne peut les considérer comme un tout négatif fait de violences et d’invectives. Ils sont également une extension de la liberté d’expression et un accès extraordinaire au flux informationnel. Ce qui importe c’est de trouver le bon équilibre entre respect des droits et nouvelles responsabilités. La régulation avance sur le sujet et l’Europe sera en avance par rapport aux autres régions du monde. 

Il s’agit par ailleurs de faire naître un projet collectif de numérique humaniste, une construction commune qui doit permettre d’inclure les territoires les plus reculés, les personnes les plus éloignées et créer grâce à la technologie de nouvelles opportunités d’inclusion. Ces objectifs sont au cœur du projet de la cité numérique et non annexes. Ainsi, une association comme la Croix rouge accompagne certains publics dans leur usage du numérique via des conseillers France service. Ce sont des métiers nouveaux, hybrides et difficiles -entre technique, soutien social, pédagogie, expertise administrative, management de projet et de financement, psychologie…-, qui doivent encore trouver leur place dans des zones de couverture immense et en interaction avec une multiplicité d’acteurs dont les services municipaux.

Villes Internet : Adoptée dans votre loi pour une République numérique d’octobre 2016, l’obligation d’ouverture des données publiques pour les collectivités territoriales est entrée en vigueur le 7 octobre 2018. Comment analysez-vous l’évolution de ce sujet ?

Axelle Lemaire : Des progrès ont été accomplis, certaines collectivités sont motrices dans le partage ouvert des données qu’elles produisent, cela accroît la transparence, crée de la valeur pour les entreprises et les citoyens qui s’en saisissent autour des enjeux de mobilité, d’énergie, de territoires durables, de numérique responsable. La crise sanitaire a suscité une prise de conscience pour beaucoup d’élu·es et de concitoyen·nes quant à l’utilité de l’open data pour suivre l’évolution épidémiologique. Mais je constate qu’il y a encore des difficultés de mise en œuvre, ne serait-ce que pour financer les outils et infrastructures nécessaires à une mise en commun et à l’exploitation de ces données dans l’intérêt collectif. Sauf que si les villes ne sont pas au rendez-vous, d’autres s’en chargeront, qui ne poursuivront pas les mêmes intérêts.

Ces sujets seront au cœur de mon intervention lors du grand débat de la Rencontre nationale des villes Internet 2023 « Entre droits et devoirs, quels chantiers numériques prioriser en 2023 ? ». Et je ne doute pas de la richesse des idées et des propositions des élu·es présent·es lors de cet échange.

 

Par Anna Mélin