Your browser does not support JavaScript!

Entre programme et outil pédagogique, quelle place pour le numérique dans l’école ?

Publié le 5 septembre 2019 Education

Avec plus de 15 millions d’élèves et 900 000 enseignants, l’éducation nationale représente un enjeu central dans le fonctionnement du pays. Chaque nouvelle réforme concerne en effet une très grande majorité des foyers français. La question numérique n’est pas épargnée. Ainsi, les élèves et leurs professeurs voient se succéder régulièrement des annonces et autres plans numériques — dont le récent plan du « numérique au service de l’école de la confiance » —. Il s’agit dès lors de s’interroger sur l’intégration de ces mesures dans les méthodes pédagogiques et sur les modalités de pénétration des outils dans le système scolaire.

À chacun son programme numérique éducatif

La loi de refondation de l’école de la République a créé en 2013 le « service public du numérique éducatif » dont les objectifs étaient d’apprendre aux élèves les techniques numériques en vue de leur insertion citoyenne et professionnelle, améliorer la pédagogie par l’usage de services et de ressources numériques en classe, mais aussi favoriser l’égalité des chances. Il s’agissait en outre de moderniser la gestion du service éducatif, en facilitant les relations entre enseignants, élèves et parents.
Dans un rapport du 8 juillet 2019, la Cour des comptes dresse un bilan décevant de la mise en œuvre de ces mesures. Elle relève en effet que « si les investissements publics en faveur du numérique ont beaucoup progressé, les conditions de déploiement de ce service public sont loin d’être réunies : la connexion des écoles et des établissements est encore insuffisante et, dans bien des cas, inexistante ; de fortes inégalités d’équipement des classes et des élèves demeurent entre les territoires ; l’offre de ressources numériques, abondante et souvent innovante, n’est pas organisée ; faute de formation initiale et continue suffisante, seule une minorité d’enseignants est à l’aise avec une pédagogie s’appuyant sur le numérique. »
Elle recommande dès lors de « doter écoles, collèges et lycées d’un socle numérique de base. » Ce à quoi s’est pourtant déjà attelé le récent (2018) programme du numérique au service de l’école de la confiance dont les 27 pages présentent les grandes orientations de la politique du gouvernement français en matière du numérique à l’école, notamment à l’école primaire : la protection et la valorisation des données, de nouvelles ressources pour les apprentissages fondamentaux en cycle 2, l’accompagnement des professeurs des CP dédoublés, un cadre de référence des compétences numériques et leur évaluation, l’équipement des territoires ruraux, des ressources adaptées et accessibles aux élèves en difficulté, etc.

La place du numérique dans les enseignements et les méthodes éducatives

Que l’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette, les outils numériques font désormais partie intégrante du projet éducatif des élèves en France. Il est inutile de tenter de bâtir des murs autour des écoles pour les isoler de la vague numérique. Il s’agit, dès lors, de veiller à ce qu’ils trouvent une place adaptée au sein du dispositif pédagogique et répondre alors au véritable enjeu de formation et de réussite des élèves. En effet, si le numérique n’est pas la solution miracle aux difficultés rencontrées par les élèves, et les enseignants, il peut se révéler très efficace dans certaines situations. Les élèves qui ont des besoins éducatifs particuliers par exemple, comme les dyslexiques pour lesquels il existe des logiciels très performants. De même, certains outils permettent aux élèves de bénéficier de retours rapides et jugés « neutres ». À ce sujet, le plan du numérique au service de l’école de la confiance propose d’expérimenter une évaluation renforcée, s’appuyant sur une meilleure valorisation des données et des capacités de partage améliorées au sein de la communauté éducative. Les élèves pourront ainsi « s’entraîner, s’autoévaluer, participer à des moments de diagnostic reposant sur des contenus adaptés à leur niveau et/ou à leurs besoins ». De même, les classes de CP dédoublées, qui impliquent des contextes et méthodes d’apprentissage renouvelés, constituent un cadre d’expérimentation privilégié en matière d’innovation numérique.
Enfin, au-delà de l’enseignement « par » le numérique, il s’agit également d’enseigner « le » numérique. Le gouvernement a ainsi annoncé la création du Capes « Numérique et sciences informatiques » qui se traduit par la mise en place d’un nouvel enseignement spécialisé « Numérique et sciences informatiques » en classe de première à compter de la rentrée de 2019 et en classe terminale à la rentrée de 2020. Une agrégation sera créée par la suite. Par ailleurs, en classe de seconde, un enseignement obligatoire commun de « Sciences numériques et technologie » est mis en œuvre en cette rentrée. Cet enseignement se veut à la fois un apprentissage de l’informatique en tant que science et un questionnement sur la place du numérique dans la société. De même, en classes de première et terminale, un nouvel enseignement de spécialité « Numérique et sciences informatiques » pourra être choisi par les élèves de la voie générale.

Entre financement et décisions pédagogiques, quelle articulation entre l’État et les collectivités territoriales ?

Difficile d’estimer le coût du développement du numérique dans les établissements scolaires tant les dépenses sont dispersées entre l’État, les collectivités territoriales et les familles. Selon le code de l’éducation, l’État a à sa charge les « dépenses de fonctionnement à caractère directement pédagogique » quand les collectivités locales doivent supporter « l’acquisition et la maintenance des infrastructures et des équipements, dont les matériels informatiques et les logiciels prévus pour leur mise en service ». Quid dès lors de l’acquisition de nouveaux logiciels ou de mises à jour ?
Comme le rappelle le ministère de l’Éducation nationale, les collectivités territoriales sont des partenaires incontournables dans la stratégie de déploiement du numérique à l’École. Il ajoute que « la création du service public du numérique éducatif a rendu nécessaire une nouvelle démarche de gouvernance, concertée et partagée, entre tous les niveaux de pouvoirs publics, permettant d’associer pleinement les collectivités territoriales et l’État, dans le respect des compétences de chacun ». Pour atteindre cet objectif, un « comité des partenaires du numérique pour l’éducation » — dont Villes Internet est membre 1a été mis en place à l’initiative conjointe des collectivités territoriales et du ministère de l’Éducation nationale dont l’objectif annoncé est de structurer et systématiser les échanges entre ses membres.  Il devrait permettre d’associer tous leurs représentants à la définition d’une stratégie globale et partagée pour déployer le numérique éducatif dans les territoires, en mutualisant et valorisant les expériences de chacun des partenaires. Le comité des partenaires sont appelés à contribuer à la stratégie nationale du numérique éducatif à plusieurs niveaux : appels à projets, référentiels et guides, réflexions prospectives. Le partenariat avec les collectivités repose également sur des actions concrètes, bénéficiant pour certaines d’entre elles de l’appui financier des Investissements d’avenir (PIA 2 avec l’action INEE).

Au-delà de ces répartitions de compétences, des sujets majeurs restent souvent en souffrance dans ce débat. Ainsi, dans le cadre d’une dématérialisation grandissante des échanges entre les écoles et équipes éducatives, comment aborder la question de l’illectronisme ? Quelle place pour les parents qui ne disposent pas d’une connexion Internet ou ne maîtrisent pas le français à l’écrit ? Le numérique peut aider à construire le continuum entre l’institution scolaire et la famille, si tant est que l’illectronisme et l’analphabétisme soient pris en compte.
De même, la place des GAFAM dans l’école reste un sujet majeur. Le ministère de l’Éducation a déjà contractualisé avec Microsoft ou les établissements signent des conventions directement avec des opérateurs qui leur fournissent des outils. Comment, dès lors, s’assurer que les enfants apprennent à choisir leurs outils en résistant au quasi-monopole de quelques-uns ?
Peut-être s’agit-il d’enseigner à nos enfants que la « modernité » n’est pas quelque chose d’intrinsèquement positif et d’aborder avec eux l’enjeu éminemment politique de l’utilisation du numérique dans nos sociétés.


  1. de même que l’association des maires de France, l’association Réseaux des Villes Educatrices, l’assemblée des départements de France, l’association des maires ruraux de France, l’association France Urbaine 

 

Par Anna Mélin