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Table ronde à Ruralitic : « Jeunesse : utiliser le numérique pour briser l’écran »

C’est avec un plaisir non dissimulé que les élu·es au numérique ont pris le chemin d’Aurillac cette semaine pour se retrouver en chair et en os à Ruralitic. L’occasion pour Villes Internet d’y organiser une table ronde questionnant le numérique en lien avec la jeunesse et les territoires ruraux. Sujets cruciaux, transversaux et imbriqués qui donnent lieu à un débat passionnant entre élu·es, éclairé par les interventions de Pascal Plantard, universitaire.  

La fracture numérique, convergence des défis sociaux et territoriaux

La table ronde animée par Florence Poznanski, déléguée adjointe de Villes Internet, est introduite par Pascal Plantard. Anthropologue, professeur des usages numériques à l’université Rennes-II, il dirige également M@rsouin, le plus important réseau de recherches francophone sur les usages des technologies. L’universitaire pose le décor en rappelant que les territoires ne sont pas tous égaux dans l’accès aux outils numériques et que cette question s’articule avec les questions d’accès aux ressources éducatives et scolaires. 

Hugo Biolley, jeune maire de Vinzieux (07) et conseiller communautaire délégué à la CA Annonay Rhône Agglo ajoute que l’enjeu central dans une politique en direction de la jeunesse est d’utiliser le numérique pour briser l’écran, pour aller chercher des jeunes afin de les informer de leurs droits et qu’ils connaissent les services (accueil jeunes, mission locale). Et l’élu ardéchois d’insister sur la fracture numérique sociale : « il y a l’Internet du réseau social, mais il y a aussi des possibilités d’accéder à l’éducation par le numérique. Ce n’est pas évident de savoir bien traiter une information. On peut avoir de très bonnes routes — quand je me connecte tout fonctionne — mais si on ne sait pas s’en servir on crée de mauvais usages. »

Le débat n’est pas si simple. Antony Palermo, maire de Saint-Eloy-les-Mines (63) et 1er vice-président de la CC du Pays de Saint-Eloy pense quant à lui qu’il n’y a pas de fracture numérique, « il y a des sentiments de fracture ». Lorsqu’on regarde bien, il y a très peu de personnes totalement disqualifiées du numérique. « En discutant avec les citoyen·nes, on leur fait prendre conscience qu’en utilisant des applications de partage, de vente en ligne ou de transport, elles utilisent Internet. » D’un autre côté, l’élu insiste sur l’importance du “droit de s’ennuyer”, importante ressource à la créativité des jeunes que les réseaux sociaux sont en passe d’effacer. 

Le rôle de l’école en débat

Pour Pascal Plantard, l’appropriation des technologies numériques passe par la prise en compte du capital culturel numérique des familles. C’est leur capacité à comprendre ce qu’est le numérique, Internet. À force de dire que les jeunes sont tombés dedans quand ils étaient petits, on laisse penser qu’ils n’auraient pas besoin d’éducation. C’est tout le contraire. À l’occasion d’une enquête menée pendant le premier confinement, il a démontré qu’un des phénomènes majeurs de la période est l’explosion de la communication entre les parents et les enseignant·es avec l’école à la maison. Il note que les parents en zone rurale ont été encore plus mobilisés, probablement pour compenser des difficultés. 

Et à l’universitaire d’ajouter qu’ « aujourd’hui, la représentation que nous avons de l’école est une norme pesante. L’accès aux savoirs et la promotion des apprentissages numériques se font dans d’autres lieux que l’école. C’est un faux débat que de raconter que l’éducation nationale va porter tout cela, c’est quelque chose qui doit être porté collectivement. »

Florian Morelle, maire de Maurs (15) @@@2021, vice-président de la CC de la Châtaigneraie Cantalienne et conseiller départemental du Cantal, pointe du doigt qu’aujourd’hui le numérique est beaucoup plus large qu’Internet alors que beaucoup de jeunes ne voient que ça. D’autant que, comme le relève Isabelle Klotz, adjointe à la maire de Forges-les-Eaux (76) @@@@@2021, toute la population n’a pas le même recul par rapport à l’utilisation d’Internet et que cela place l’éducation au cœur des solutions. C’est pour cette raison que sa commune mène un important projet de médiathèque, réfléchi avec les écoles, collèges et lycées de la ville. Selon elle, ces actions doivent aussi s’étendre aux centres de loisir, aux associations sportives.

Cyril Cotonat, maire de Ladevèze-Rivière (32) @@@2019, président de l’association des maires ruraux du Gers et informaticien de métier insiste sur ce lien avec l’école. « Les élus locaux peuvent faire beaucoup de choses, mais cela doit se faire en relation avec l’éducation nationale. Il faut un professorat à l’informatique, afin que ce soit une matière enseignée comme une autre. » 

Mais comme la fracture numérique, le rapport à l’école ne fait pas l’unanimité. Jérôme Pinson, maire délégué d’Échemiré, commune de Baugé-en-anjou (49) @@2021 et professeur des écoles, questionne : est-ce qu’on peut trouver un métier dans le numérique si on ne sait pas lire, écrire et compter ? Quelle formation des enseignant·es ? Et au détriment de quoi cela va-t-il se faire ? Est-ce à l’éducation nationale de compenser la fracture numérique ?

Les collectivités locales en première ligne

Pascal Plantard est catégorique, « ce sont assez rarement les politiques européennes ou nationales qui compensent ces inégalités numérique, mais plutôt les actions des territoires. Cela veut dire que les élu·es tentent de compenser les inégalités d’accès et d’usage et mènent un travail sur les dimensions sociales. » Il ajoute que dans les territoires ruraux, il y a quelque chose à développer. Pourquoi pas des conseils citoyens du numérique ? Cela permettrait de répondre au risque d’augmentation de la déconnexion volontaire. « Ce phénomène était jusqu’à maintenant ultra-minoritaire, il s’avère que cette question du rejet des technologies numériques peut être embarrassante sur les territoires. » Face à ce défi, les collectivités mènent un travail important d’association de la population. Pour Florian Morelle, “ces personnes silencieuses qui ne demandent plus rien et qu’on ne voit plus dans les locaux publics à cause de la dématérialisation, exigent encore plus d’attention de la part des élus”. C’est en ce sens que sa commune a mis en place un conseil municipal jeune avec un maire et des adjoint·es, « pour que les plus jeunes deviennent des citoyen·nes ». 

Au cœur des enjeux des territoires, l’épineuse question de la connexion Internet est dans toutes les têtes. Hugo Biolley rappelle que son village a été fibré cette année. Jusqu’à cette année, avoir accès à toute la partie Internet du numérique était très compliqué. Les inégalités socioterritoriales sont liées au développement des infrastructures. Il ajoute que « c’est la collectivité la plus locale qui va prendre en charge cette question. Si nous parvenons à avoir la fibre, c’est parce que la communauté de communes a décidé de créer un syndicat et d’investir financièrement dans l’infrastructure. »  

Pour Antoine Corolleur, maire de Plourin (29) @@2018 le développement numérique dépend de la volonté politique des élu·es. Ce pionnier de l’association Villes Internet a créé un cyberespace dans sa commune il y a plus de 20 ans, un des premiers adhérents de Villes Internet. Il regrette que « lorsque les emplois jeunes ont été supprimés, beaucoup de communes ont laissé tomber leur cyberespace » alors que le numérique, c’est aussi un enjeu d’accompagnement. « Des jeunes savent utiliser leurs smartphones pour des réseaux sociaux, mais ne savent pas s’en servir pour réaliser des démarches administratives ». Aujourd’hui, les conseillers numériques ont remplacé les emplois jeunes et l’élu s’inquiète de la pérennité de ces emplois après les 2 années prises en charge par l’Etat. 

Après plus d’une heure et demie de discussion, beaucoup de notes ont été prises par les unes et les autres. Le rendez-vous est pris pour continuer ces débats le 7 octobre 2021 dans le cadre du 3e Congrès national des élu·es au numérique

 
Revoir la table ronde :

Par Anna Mélin